Bouddhisme

Son Éminence le 3e JAMGON KONGTRUL RINPOCHE

Cœur éveillé, esprit brillant.

LE BOUDDHISME EST L’UNE DES PRINCIPALES RELIGIONS du monde et il est vivant depuis plus de deux mille cinq cents ans. C’est en Orient qu’il fut fondé par le Bouddha Shakyamuni, mais il ne faudrait pas le réduire à un ensemble de coutumes ou de particularités culturelles orientales. Selon le bouddhisme, la spiritualité est essentielle et fondamentale pour tous sans exception. De manière inhérente, chacun possède le potentiel d’atteindre le plus haut niveau de santé de l’esprit, l’esprit complètement éveillé. Ce que le bouddhisme présente, c’est le moyen de reconnaître et de vivre ce potentiel, peu importe qui nous sommes. Il importe de reconnaître qu’une spiritualité authentique peut s’intégrer dans une culture au point de l’imprégner, alors qu’il est impossible d’inclure un ensemble de coutumes et de croyances dans ce qui est spirituel. Puisque le bouddhisme aborde ce qui est fondamentalement vrai du monde phénoménal et de notre propre existence, il n’est pas limité par un ensemble de croyances et de coutumes adaptées à un groupe ou à un lieu en particulier.

Pour établir un lien avec le monde phénoménal et avec nous-mêmes, il y a deux façons de faire. Nous pouvons utiliser notre perception ordinaire du monde et de nous-mêmes, ou bien voir les choses telles qu’elles sont vraiment, sous l’angle de ce qui est fondamental et ultime. La plupart du temps, notre rapport au monde qui nous entoure n’est pas en accord avec sa nature fondamentale, mais suit plutôt nos perceptions. Nous n’avons pas l’expérience de notre nature primordiale, ce potentiel d’un état d’esprit complètement éveillé; nous vivons plutôt selon ce que nous voyons. Le résultat, c’est que toutes sortes de conflits emplissent notre existence. Peu importent nos efforts pour que tout aille bien, il y a toujours du désordre, de l’insatisfaction, et l’impression que quelque chose nous manque. Malgré tout ce que nous avons réalisé, il en reste toujours plus à faire. Cette insatisfaction persiste et se propage à une plus grande échelle, parce que notre perception va à l’encontre de ce que nous sommes fondamentalement.

Nous agissons en accord avec notre perception erronée du monde, et nous nous y cramponnons comme si elle était fondamentalement vraie; cela nous fait réagir au chaos et à l’insatisfaction comme s’ils venaient de l’extérieur. Il nous semble que les situations externes nous menacent ou nous persécutent, et nous nous sentons poussés à fuir les causes de notre insatisfaction. Ce qui aggrave la confusion, c’est que nous croyons que ces problèmes sont bien réels. Nous tentons de nous échapper par toutes sortes de moyens, sans pour autant envisager sérieusement de travailler sur nous-mêmes.

Tout irait sans doute mieux si nous commencions à travailler avec notre propre existence plutôt qu’avec un point de référence extérieur. Notre situation présente inclut à la fois l’objet extérieur, qui est tenu par la conscience, et la conscience elle-même, qui tient et reconnaît cet objet, et qui l’accepte ou le rejette. Nous n’arrivons cependant pas à admettre que le sujet et l’objet soient tous les deux en cause; si nous nous sentons menacés et vivons des moments chaotiques, nous l’attribuons uniquement à cette chose extérieure; nous en venons à tenir l’objet pour responsable de notre chaos, de nos problèmes, de notre insatisfaction. En sentant mieux le lien entre le sujet et l’objet, nous pourrions voir que ce sont là nos projections mentales qui se reflètent dans notre esprit. Au contraire, au lieu de reconnaître que tout cela vient de nous, nous y voyons des problèmes extérieurs que nous tentons de les régler au-dehors. La persistance du chaos et de l’insatisfaction montre pourtant que nous faisons fausse route en suivant ainsi nos perceptions.

Le terme tibétain pour bouddhisme, nangpa, a trait à l’intérieur, et indique le besoin de nous tourner vers l’intérieur pour travailler avec nous-mêmes. Ce faisant, en obtenant une vision plus nette de ce que nous sommes vraiment, nous commençons à sentir le lien entre notre existence et tout ce qui nous entoure. En regardant vers l’extérieur, nous n’avons que nos projections mentales désordonnées pour essayer de comprendre cet extérieur, et nous ne reconnaîtrons jamais qui nous sommes. Ce qui est vrai à la base, c’est que l’expérience de la douleur, ou du plaisir, ne dépend pas de ce qui se passe à l’extérieur, mais plutôt de ce qui a lieu en dedans : que l’on éprouve douleur ou plaisir, il s’agit surtout d’un état d’esprit. Que nous voyions le monde comme éveillé ou plein de confusion, cela dépend de notre état d’esprit.

Notre confusion vient aussi d’une mauvaise compréhension de la façon dont les choses prennent leur origine. Pour ce qui est de notre relation au monde, ce monde phénoménal existe en étant fondé sur l’origine interdépendante. Il n’est rien, pas la moindre particule, qui n’existe par soi-même, de manière indépendante ou permanente. Peu importe à quel point un objet peut sembler exister réellement, de manière permanente ou fiable, en ce qui concerne la vraie nature du monde et des phénomènes cet objet n’a aucune existence véritable. Cela s’applique aussi à notre esprit. Et si notre lien au monde phénoménal s’établit dans une optique contraire à sa véritable nature, nous nous exposons à bien des ennuis.

Selon le bouddhisme, tous les problèmes et toutes les insatisfactions viennent directement de nous. Il nous faut comprendre cela pour établir notre vie sur une base saine, et en venir à voir l’insatisfaction comme une expression de nos habitudes mentales. Nous avons établi une dépendance à l’égard de ces habitudes, faute d’avoir reconnu nos propres ressources. Nous avons pour héritage une richesse et une prospérité fondamentales; cependant, à force de nous cramponner à des habitudes, nous avons agi à l’inverse de ce que nous sommes et de ce que nous avons, si bien que nous vivons des conflits. C’est comme le cas d’un enfant gâté, qui ne l’était pas au début, mais qui l’est devenu à force d’être exposé à toutes sortes d’influences.

De plus, il faut admettre que nous affirmons sans cesse : « je » fais ceci ou cela, alors que notre vie s’exprime dans le monde par une absence totale de pouvoir. Nous n’avons aucune autorité puisque notre esprit, qui pourrait réfléchir et connaître, est constamment distrait. Nous ne savons pas vraiment ce qui se passe, et ne nous rappelons rien. Comme des machines soumises au jeu des phénomènes extérieurs, nous sommes mus par la séduction qu’opère sur nous ce que nous voyons, et pourtant nous maintenons l’idée fixe que « je » fais ceci, que « je » maîtrise la situation. Si notre attention est bonne et que nous avons l’esprit alerte et attentif, c’est là que nous commencerons à avoir du pouvoir, au sens où nous comprendrons ce qui se passe en nous et autour de nous. C’est toute la différence entre être en vie ou bien ne pas l’être. La façon dont nous menons notre vie ressemble à une farce énorme; chacun de nous se prend pour un dirigeant important, avec un nom et des références, sans pour autant posséder le moindre pouvoir, ni avoir la moindre idée de ce qui se passe. Nous avons sans doute un grand nom : « Je ». « Je » veux que le monde entier « me » connaisse; mais cette déclaration est pour la galerie, la machine est manœuvrée depuis les coulisses, parce qu’il n’y a là aucune sensation d’être alerte, d’être bien présent ou en vie. Nos habitudes de confusion et de distraction, nos obscurcissements, voilà ce qui nous gouverne et dicte notre comportement.

Pour renverser cette situation, le bouddhisme présente ce moyen habile qu’est la pratique de la méditation. Nous devons apprendre à nous asseoir avec nous-mêmes, et à nous sentir plus confortables avec la personne que nous sommes. Méditer ne signifie pas que nous devions méditer sur quelque chose, et il ne faut pas non plus s’attendre à vivre des choses nouvelles ou très différentes. Méditer veut simplement dire cultiver une bonne habitude saine, qui servira d’antidote aux habitudes malsaines, pleines de confusion et destructrices que nous avons établies. La pratique de la méditation nous permet de nous sentir en train de penser et de connaître des choses. La méditation, c’est l’attention, et pour y arriver nous devons appliquer les techniques encore et encore, parce que n’importe quelle habitude, saine ou malsaine, s’acquiert par la répétition.

En bref, le bouddhisme est universel; à sa base se trouve ce qui est fondamentalement vrai dans le monde et en nous-mêmes, indépendamment de ce que nous sommes, de nos problèmes, ou de notre contexte historique.

Cet enseignement a été donné par Son Éminence Jamgon Kongtrul Rinpoché à la NY State University à Albany, le 7 octobre 1985. Traduit du tibétain à l’anglais par Ngodup Burkhar et édité par Laura Roth, il fut publié dans Densal, Vol. 7 no 1. Copyright 1998 Karma Triyana Dharmachakra. Tous droits réservés.

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